dimanche

Notes sur "Inside Llewyn Davis"




(Attention spoilers)

Inside Llewyn Davis est moins un film sur la fatalité que sur la responsabilité : Llewyn Davis est le seul responsable de son destin, qu'il oriente grâce à (ou à cause de) ses chansons. A moins que les chansons soient inspirées par les dieux (comme les "chants" homériques), dans ce cas, il en serait le médium. Mais toutes ses chansons parlent de lui, sont "performatives", sont des oracles (seul lui semble ne pas s'en apercevoir). C'est un film sur le pouvoir du verbe, de la parole, du chant, comme créateur, agent de la réalité. Ainsi, dans la première chanson que l'on entend dans le film, Llewyn demande à être "pendu haut et court" : il va être exaucé, c'est ce qui va lui arriver pendant la suite du film, qui s'apparente à un voyage au pays des morts (en particulier pendant le voyage à Chicago : dans la voiture, tous les passagers sont morts). Il est un mort-vivant, déjà mort, pendant tout le film, depuis sa rencontre avec elle, la mort, sous la figure de ce personnage noir, silhouette à chapeau qui le rosse une première fois pour "avoir ouvert sa gueule" pendant un concert, la veille (ça pourrait aussi bien être pour avoir ouvert sa gueule pour chanter). 

Deux plans fondus-enchainés font fusionner ce personnage, s'éloignant dans la ruelle sombre, et le chat marchant dans le couloir vers la chambre de Llewyn. Moins un double de ce dernier que la mort elle-même qui l'accompagnera pendant le reste du film, le chat donc le guide, l'emmène. Les deux personnages (l'homme en noir, puis le chat) seraient le fantôme de l'ami disparu, le "partenaire". Celui ci s'est jeté d'un pont, et leur chanson la plus connue parlait "d'avoir des ailes", de "rejoindre l'ami disparu", et à ce titre, a été performative : le partenaire (un ange ?) est revenu donner une leçon de vie à Llewyn.

Une autre chanson raconte cette reine qui demande à son roi d'être avortée de son bébé. Le bébé survit, la reine meurt. Dans le film, la chanson se réalisera aussi : la femme (Diane) que Llewyn voulait faire avorter a finalement gardé leur enfant, et a disparue (est morte pour lui). Il chante cette chanson devant le directeur d'une salle de concert, Grossman (« grand homme ») à Chicago, dans la salle de concert vide. Derrière Grossman, il y a une lumière surnaturelle, éclatante, dont on ne distingue pas la provenance. Grossman représente celui qui pourrait lui faire franchir la porte du paradis (une sorte de Saint Pierre). Le paradis pouvant aussi être la gloire (au sens religieux du terme). Finalement, il le renvoie chez lui (il est trop tôt pour mourir) en lui disant "Je ne vois pas d'argent ici".  La fin du film recèle une explication toute aussi prosaïque : Llewyn se fait rosser une deuxième fois (le film n'est pas un long flash-back : quoique similaires, les deux scènes se suivent temporellement - dans la première, notamment, on n'entend pas Bob Dylan commencer à chanter), il se fait rosser une seconde fois, donc, par celui qui s'avère être le mari de la femme insultée la veille. Ce n'est plus la mort, c'est juste un mari en colère. Cette explication lève le mystère, retire sa portée métaphysique à la séquence initiale. Llewyn peut finalement dire "au revoir" (en français ?) à la mort (en souriant même), et retourner dans le monde des vivants (comme Ulysse - la mort, le chat, le partenaire - est également rentré chez lui). C'est un vrai happy end.

Question : pourquoi le musicien qui prête son canapé à Lewyn pendant quelques jours, le dénommé Al Cody, s'appelle-t-il Milgram de son vrai nom (Llewyn le découvre en voyant son courrier dans une caisse) ? L'expérience de Milgram cherchait à "évaluer le degré d'obéissance d'un individu devant une autorité qu'il juge légitime et à analyser le processus de soumission à l'autorité, notamment quand elle induit des actions qui posent des problèmes de conscience au sujet" (http://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9rience_de_Milgram).  Les épreuves endurées par Llewyn relèveraient-elles d'une expérience de Milgram ? Jusqu'où sommes-nous prêts à voir souffrir le héros ? Les frères Coen mélangent mythologie grecque, récit initiatique, morale juive et théories scientifiques (déjà dans A serious man, film qui mettait en scène l’expérience du chat de Schrodinger). Comme le chat de Schrodinger, Llewyn est à la fois mort et vivant. Les spectateurs sont les véritables cobayes de l'expérience.

2 commentaires:

  1. Ça vole haut mais je suis bien obligé de reconnaître que ça tient la route. Ça permet aussi d'éclairer des choses notamment ce catastrophique voyage à Chicago qui semble décalé par rapport au reste du film.

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  2. Je viens de visionner Inside Llewyn Davis et j'avais besoin d'avoir quelques explications. Je suis d'accord sur la plupart de vos explications. Cependant pour moi le première scène est strictement la même que la dernière. Le film est construit sur une ellipse temporelle pensant nous faire croire au début que c'est la continuité de l'histoire alors que les frères Cohen veulent perdre les spectateur en cassant les codes narratifs normaux du cinéma (de mon simple point de vue). Très bonne analyse merci pour la compréhension des autres éléments.
    Très bonne analyse

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