vendredi

"Le Yoyo", par Benoit Forgeard



Deuxième extrait de l’album « Matrice », « Le yoyo » a été mis en images par Benoit Forgeard, réalisateur de « Réussir sa vie » (2012) et du « Ben & Bertie Show », émission musicale qu’il présente avec Bertrand Burgalat sur Paris Première. Voici, pleine d’humour et d’invention, sa note d’intention (avec quelques images inspirantes).





























Benoit Forgeard : « Quand il m'a proposé d'entendre son nouvel album, Matrice, Wilfried* m'a prévenu qu'il s'agissait là d'un concept-album pop et psychédélique autour de la figure féminine (la mère, la sœur, l’amie, l’amante). Tandis que nous écoutions les neuf titres - comme autant de mois de gestation -, qui composent le disque, entre chansons d’amour inquiétantes, sur la passion dévorante, et d'autres, plus joyeuses, comme Le Yoyo, Wilfried* me confiait sa volonté d'évoquer une vision de la société contemporaine comme une « matrice », omniprésente par le biais des technologies de l’information, aussi sécurisante qu’aliénante.




"Entre ses lignes, poursuivait-il tandis que je hochais la tête, l’album postule une tendance politique et économique de la société occidentale à infantiliser ses membres, en développant, grâce aux mises en scènes de la communication et du marketing  une seule et même motion mentale originelle, qu’en termes psychanalytiques on appellerait la structure élémentaire du fantasme, à savoir le désir de fusion de soi et d’autrui dans une unité indistincte abolissant la contradiction, ou en d’autres termes le fantasme de retour dans le ventre maternel."

































« Egalement dénommé  sentiment océanique, il s’agit du fantasme primordial de régression pré-Œdipienne sur lequel s’étayent tous les autres fantasmes qu’une vie humaine peut connaître. Le champ fantasmatique étant un puissant moteur de l’action, qui parvient le mieux à flatter les tendances régressives de l’humain en lui promettant le retour dans l’utérus emporte généralement l’adhésion du groupe. La culture de l’involution vers des stades archaïques du psychisme, avec en perspective le retour à un stade fœtal, se présente ainsi comme le fil conducteur de toute l’ingénierie psycho-politique mondialisée. »  Gouverner par le chaos - Ingénierie sociale et mondialisation (Auteurs anonymes, Max Milo Editions)


Cet ambitieux postulat me donnait aussitôt l'envie de mettre en scène Wilfried* traqué par une géante, une monstrueuse adolescente, menaçant à tout moment de l'anéantir, tantôt par jeu, tantôt par indifférence. Cela me semblait l'occasion de renouveler la figure classique et multi-représentée de la déesse, en la trempant dans l'étonnant réservoir d'images des sites internet de domination féminine, où des femmes vues en contre-plongée jouent à écrabouiller du talon celui ou celle qui les regardent.
















































































































C'était, enfin et surtout, l'opportunité d'un film amusant, prétexte à fabriquer des images excitantes.

Sous ses faux-airs naïfs, Le Yoyo parle de désir et de dépendance, d'engouement et d’abandon, d'amour et de rejet. Aussi, pour illustrer les hauts et bas (roller-coasters) émotionnels endurés par l'interprète, l'action se situe dans un univers dérivé de celui de la fête foraine, avec ses montagnes russes et sa grande route, toutes attractions qui, en dépit de leur allure joyeuse, recèlent un aspect cauchemardesque.






Pour renforcer l'effet de distance et de décalage ludique, le clip a été réalisé sur fond vert. Nous jouons ainsi sur des raccourcis visuels et des effets de différence d'échelles, afin de donner à voir un univers plus mental, onirique, que réaliste.























Enfin, le film exploite particulièrement les formes du cercle ou de la sphère : grande roue, hoola-hop, yoyo, prolongement de l’identité visuelle de l’album Matrice (un cercle bleu).


dimanche

Notes sur "Inside Llewyn Davis"




(Attention spoilers)

Inside Llewyn Davis est moins un film sur la fatalité que sur la responsabilité : Llewyn Davis est le seul responsable de son destin, qu'il oriente grâce à (ou à cause de) ses chansons. A moins que les chansons soient inspirées par les dieux (comme les "chants" homériques), dans ce cas, il en serait le médium. Mais toutes ses chansons parlent de lui, sont "performatives", sont des oracles (seul lui semble ne pas s'en apercevoir). C'est un film sur le pouvoir du verbe, de la parole, du chant, comme créateur, agent de la réalité. Ainsi, dans la première chanson que l'on entend dans le film, Llewyn demande à être "pendu haut et court" : il va être exaucé, c'est ce qui va lui arriver pendant la suite du film, qui s'apparente à un voyage au pays des morts (en particulier pendant le voyage à Chicago : dans la voiture, tous les passagers sont morts). Il est un mort-vivant, déjà mort, pendant tout le film, depuis sa rencontre avec elle, la mort, sous la figure de ce personnage noir, silhouette à chapeau qui le rosse une première fois pour "avoir ouvert sa gueule" pendant un concert, la veille (ça pourrait aussi bien être pour avoir ouvert sa gueule pour chanter). 

Deux plans fondus-enchainés font fusionner ce personnage, s'éloignant dans la ruelle sombre, et le chat marchant dans le couloir vers la chambre de Llewyn. Moins un double de ce dernier que la mort elle-même qui l'accompagnera pendant le reste du film, le chat donc le guide, l'emmène. Les deux personnages (l'homme en noir, puis le chat) seraient le fantôme de l'ami disparu, le "partenaire". Celui ci s'est jeté d'un pont, et leur chanson la plus connue parlait "d'avoir des ailes", de "rejoindre l'ami disparu", et à ce titre, a été performative : le partenaire (un ange ?) est revenu donner une leçon de vie à Llewyn.

Une autre chanson raconte cette reine qui demande à son roi d'être avortée de son bébé. Le bébé survit, la reine meurt. Dans le film, la chanson se réalisera aussi : la femme (Diane) que Llewyn voulait faire avorter a finalement gardé leur enfant, et a disparue (est morte pour lui). Il chante cette chanson devant le directeur d'une salle de concert, Grossman (« grand homme ») à Chicago, dans la salle de concert vide. Derrière Grossman, il y a une lumière surnaturelle, éclatante, dont on ne distingue pas la provenance. Grossman représente celui qui pourrait lui faire franchir la porte du paradis (une sorte de Saint Pierre). Le paradis pouvant aussi être la gloire (au sens religieux du terme). Finalement, il le renvoie chez lui (il est trop tôt pour mourir) en lui disant "Je ne vois pas d'argent ici".  La fin du film recèle une explication toute aussi prosaïque : Llewyn se fait rosser une deuxième fois (le film n'est pas un long flash-back : quoique similaires, les deux scènes se suivent temporellement - dans la première, notamment, on n'entend pas Bob Dylan commencer à chanter), il se fait rosser une seconde fois, donc, par celui qui s'avère être le mari de la femme insultée la veille. Ce n'est plus la mort, c'est juste un mari en colère. Cette explication lève le mystère, retire sa portée métaphysique à la séquence initiale. Llewyn peut finalement dire "au revoir" (en français ?) à la mort (en souriant même), et retourner dans le monde des vivants (comme Ulysse - la mort, le chat, le partenaire - est également rentré chez lui). C'est un vrai happy end.

Question : pourquoi le musicien qui prête son canapé à Lewyn pendant quelques jours, le dénommé Al Cody, s'appelle-t-il Milgram de son vrai nom (Llewyn le découvre en voyant son courrier dans une caisse) ? L'expérience de Milgram cherchait à "évaluer le degré d'obéissance d'un individu devant une autorité qu'il juge légitime et à analyser le processus de soumission à l'autorité, notamment quand elle induit des actions qui posent des problèmes de conscience au sujet" (http://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9rience_de_Milgram).  Les épreuves endurées par Llewyn relèveraient-elles d'une expérience de Milgram ? Jusqu'où sommes-nous prêts à voir souffrir le héros ? Les frères Coen mélangent mythologie grecque, récit initiatique, morale juive et théories scientifiques (déjà dans A serious man, film qui mettait en scène l’expérience du chat de Schrodinger). Comme le chat de Schrodinger, Llewyn est à la fois mort et vivant. Les spectateurs sont les véritables cobayes de l'expérience.