lundi

Brooklyn Zoo







Hybrides, croisements ou chimères, les enfants d’Animal Collective forment une ménagerie joyeuse qui chante haut et en chœurs les hymnes de nouvelles communautés, primitives, solaires ou aquatiques, en tout cas toutes voix dehors. Bestiaire.


On a oublié que l’émergence du groupe new-yorkais Animal Collective fut à peu près concomitante au passage de la grande muette sur New-York. Si le groupe s’est formé en 1999, il a développé son identité musicale après le 11 septembre 2001, et figure la tabula rasa esthétique que le souffle de l’événement devait produire. Ses huit albums, de Spirit They're Gone, Spirit They've Vanished  (2000) à Merriweather Post Pavilion (2009), ont été les étapes d’une redéfinition du format pop, à partir du silence et des ruines.  Avey Tare, Deakin, Geologist et Panda Bear ont abordé la musique en barbares, mais selon  une conception positive de la barbarie, celle qu’évoque Walter Benjamin en 1933, à propos de ceux qui revenaient de la première guerre mondiale : « De barbarie ? Mais oui. Nous le disons pour introduire une conception nouvelle, positive, de la barbarie. Car à quoi sa pauvreté en expérience amène-t-elle le barbare ? Elle l’amène à recommencer au début, à reprendre à zéro, à se débrouiller avec peu, à construire avec presque rien, sans tourner la tête de droite ni de gauche. » (W. Benjamin, "Expérience et pauvreté", in Œuvres II, Folio, pp. 364-372). De même Animal Collective : recommençant tout au début, reprenant à  (ground) zéro, et, avec presque rien, réinventant la pop d’aujourd’hui.

Primitifs du futur, Animal Collectif sont retournés chercher les esprits de leur terre d’accueil (tambours chamanes), revenus à l’âge de pierre de la folk (excavée par Harry Smith), et à l’enfance radieuse de l’art pop, des teenage symphonies de Brian Wilson aux lonely hearts des Beatles, en passant par les sous-bois (field recordings) et leurs habitants (les champignons). Aujourd’hui, alors que l’on compare souvent leur influence à celle des Fab Four sur les 60’s, une progéniture bariolée en fait ses pères spirituels. Si Animal Collective a lancé la mode des noms d’oiseaux (Dodos, Grizzly Bear, Caribou), son influence a d’abord ressurgi sur son entourage (motifs percussifs de Black Dice, souffle des K7 de Ariel Pink, artistes de leur label Paw Tracks), puis sur Brooklyn (rythmiques technoïdes de Gang Gang Dance ou Yeasayer, tournoiements mélodiques de High Places), créant rien de moins qu’un (trans-)genre musical à l’inventivité joyeusement communicative.

Cet esprit de fête, de rassemblement, touche désormais une nouvelle jeunesse, qui explore à son tour les voix délayées (Young Man), les moiteurs tropicales (El Guincho), la transe collective (Dan Deacon), ou met en boucle Phil Spector (Wavves), annonçant moins une musique de chambre (Beach House, Teengirl Fantasy, Julian Lynch) que de nouveaux garçons de la plage (The Drums, Best Coast, The Morning Benders, Magic Kids). Et si Avey Tare confiait récemment ne pas vraiment reconnaître ses moutons dans la « Chillwave » à la mode (Washed Out, Memory Tapes, Neon Indian, Toro Y Moi), grâce lui est rendue d’avoir été pour quelque chose dans cette nouvelle aspiration à l’harmonie et à la communauté. Alors que son album Down There sort le 26 octobre, et en attendant le nouveau Panda Bear, leur descendance est la preuve que l’on peut construire les plus belles maisons à partir d’un tas de ruines…

Ceci est une version longue de l’article paru dans 3 Couleurs #84 (septembre 2010)

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